
La faute signée Jeune Afrique est grave. Préoccupante à certains niveaux, mais pas inexcusable. Surtout dans un contexte marqué par un débat malsain, imposé à l’opinion, sur la légalisation de l’homosexualité que refuse le Sénégal. Du port de sacs à main efféminés par des garçons, on a glissé dangereusement vers un raccourci simpliste qui consiste à voir en tout porteur de sac efféminé, un homosexuel qui ne s’assume pas. On va même jusqu’à accuser l’Etat d’être derrière ces groupes de pression venus d’ailleurs et qui militent pour la cause gay.
Un Etat qui, en revanche, reste amorphe au lieu de se démarquer de ces accusations en posant des actes concrets notoires. Si ce même Etat n’est tenté comme la dernière fois, fidèle à ses violations habituelles de la liberté d’association, de réprimer une marche non autorisée de citoyens Sénégalais, qui refusent simplement, que leur pays traite les homosexuels au même titre que la France. Une France qui aujourd’hui, s’évertue à rendre audible la voix de ceux qui s’arrogent le droit au blasphème, et réclament haut et fort le droit de tout caricaturer y compris les saints. En France justement, au sortir d’un Magal organisé par la communauté mouride en 2011, un Français qui avait assisté à la manifestation religieuse, nous fit des remarques au sujet de l’accoutrement de notre « dieuwrigne » qui portait un « Baay Lahat » (grand boubou ample, qui renvoie à Serigne Abdoul Ahad Mbacké, 3e Khaife de Touba).
« Chouette, la robe de S... ! », s’écria le Français. Nous nous tordîmes de rires, trouvant la remarque drôle et en déduisîmes que ce devait être une affaire de culture pour qu’il assimilât le grand boubou de notre « dieuwrigne » à une robe. A l’époque, nous étions loin de voir dans sa remarque une quelconque moquerie, encore moins une allusion au port vestimentaire de femme, mais un compliment. Est-il utile de rappeler à ce propos, le Larousse qui, parmi autres définitions, définit la robe comme « un vêtement d’une seule pièce, couvrant le corps jusqu’aux genoux ou aux pieds, porté par des hommes à certaines époques et dans certaines civilisations ». Inutile de préciser, qu’au Sénégal comme ailleurs, les avocats, les magistrats et les évêques portent des robes et ils ne sont pas pour autant assimilés à des femmes encore moins à des homosexuels.
Ce qui revient à dire que, si le port de la robe peut être une affaire de femmes, il est sans conteste une affaire de culture. Toutefois, ce qui paraît blâmable dans le dessin de JA, lequel pointe du doigt l’unique photo connue de Serigne Touba, demeure le rapprochement établi entre l’accoutrement du saint-homme et le sac de la polémique, qui s’avère être un raccourci simpliste, une faute lourde que les confrères de Jeune Afrique, malgré leurs décennies d’expérience dans le domaine de la presse, n’ont pu éviter. S’il est utile de le préciser afin de lever toute équivoque, le grand marabout de Touba n’a pas été caricaturé comme certains le soutiennent au Sénégal où la rumeur a la fâcheuse habitude de déformer les faits, de les travestir même.
Le grand marabout de Touba n’a pas été caricaturé (dessiné) dans JA comme l’a été le prophète de l’islam, alors représenté par Charlie Hebdo dans des positions compromettantes, qui dénotent de l’insolence voire de l’irrespect. En revanche, si le saint-homme de Touba avait été caricaturé, l’opinion comprendrait que le correspondant de JA à Dakar ne passe pas la nuit dans la capitale sénégalaise. Les mourides, les musulmans, les Sénégalais d’une manière générale, ont sans doute eu raison d’alerter, afin d’éviter, demain, que Serigne Touba ne soit représenté, dessiné, dans un croquis destiné à faire rire le monde occidental. Il faut rappeler que Charlie Hebdo avait, dans un premier temps, en guise de solidarité, republié des dessins du prophète de l’islam, initialement publiés dans un journal danois.
Avant de s’approprier par la suite, l’exclusivité des caricatures du Prophète, par ses propres dessinateurs qui ont fini par en faire leur sujet de prédilection. Devrions-nous aussi refuser de cautionner une interdiction de toute commercialisation de l’édition papier de JA à Dakar, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux. Le cas échéant, on prendrait le risque de voir dans le monde occidental, des journaux mus par la seule volonté de ternir l’image de l’islam, avec la bénédiction des lobbies gays, reproduire des dessins de Serigne Touba, destinés, justement, à faire mal aux mourides, à les atteindre dans leur chair. Ce n’est pas, comprend-on, ce que souhaitent ces milliers de personnes qui ont marché ce week-end entre Dakar et les capitales régionales, pour dénoncer la publication de JA.
Enfin, il convient de refuser à tout prix, que cette affaire de caricature polémique, fasse l’objet de récupération, au Sénégal, par les tenants d’un conservatisme latent, qui, figés et réfractaires à toute critique des religions, voudraient en profiter pour régler un vieux contentieux avec une presse qu’ils souhaiteraient mettre à genou et aux ordres. JA s’est excusé et a fait son mea culpa. A nous de savoir pardonner, de mettre un terme à la polémique et passer à autre chose.